Vol spécial
Vol spécial
CH 2011 103'
Réalisation: Fernand Melgar
Scénario: Fernand Melgar
Image: Denis Jutzeler
Son: Christophe Giovannoni, Jürg Lempen, Gabriel Hafner, François Musy
Montage: Karine Sudan, Prune Jaillet
Musique:: Wandifa Nije
Production: Climage

Pass:Vol spécial (F)
540p Français ST -
Pass:Vol spécial (D)
540p Français ST Deutsch
Pass:Vol spécial (E)
540p Français ST English
En Suisse, plus de 200'000 personnes vivent jour après jour la peur au ventre: à tout moment, ils risquent de se retrouver en prison sans avoir commis le moindre délit. Ils peuvent finir ligotés, menottés, bâillonnée et renvoyés chez eux de force par vol spécial. Ce pays où ils ont construit une nouvelle vie, fondé une famille, peut d'un jour à l'autre les bannir et les humilier. Pourquoi ? Pour la simple raison qu'ils sont des sans-papiers. Chaque année, des milliers d'hommes et de femmes se retrouvent dans l'un des 33 centres de détention administratives du pays, privés de liberté jusqu'à 2 ans. Le cinéaste Fernand Melgar a choisi de s'immerger dans la prison de Frambois à Genève, capitale des droits de l'homme.
Mesures de contrainte
La loi fédérale sur les mesures de contrainte permet d'emprisonner pour une durée maximale de 24 mois un étranger en situation irrégulière, homme ou femme dès l'âge de 15 ans, dans l'attente de son renvoi de Suisse. Peu de citoyens connaissent cette disposition alors qu'ils l'ont plébiscitée à une forte majorité en 1994 et que tous les cantons, sans exception, l'ont acceptée.
Parmi les 28 pénitenciers cantonaux qui pratiquent, en plus du pénal, la détention administrative, Frambois est un cas à part. Issu d'un concordat entre les cantons de Genève, Vaud et Neuchâtel, il est le premier établissement uniquement dévolu aux mesures de contrainte. Il est fort critiqué pour son coût élevé et son confort relatif, notamment du côté de Zürich qui applique à l'opposé la méthode dure. Force est pourtant de constater que Frambois détient le plus haut taux de réussite de renvoi, soit 86%, alors que Zürich atteint péniblement les 80%.
L'inauguration de Frambois a eu lieu en juin 2004 dans la banlieue de Genève. La conseillère d'Etat Micheline Spoerri n'avait pas caché les difficultés de l'entreprise : « L'objectif est de répondre de façon intelligente et humaine aux exigences d'une loi qui a la singularité de priver de liberté des personnes qui n'ont commis ni crime, ni délit, pour s'assurer la bonne exécution d'un renvoi. Non défini dans la loi fédérale, un régime particulier de détention administrative a dû être inventé. Le défi était de taille. »
À l'intérieur de cet univers carcéral, 22 cellules individuelles équipées d'un frigo et d'une télévision. Les détenus sont libres de sortir de leur cellule entre 8 heures et 21 heures. La salle commune au rez-de-chaussée est le lieu central de Frambois. Aménagée de tables, de chaises et d'une table de ping-pong, elle accueille les détenus qui y passent une grande partie de leur journée. Discussions, jeux, repas et mêmes visites des aumôniers y prennent place.
La prison de Frambois
Ce « concept Frambois » a un prix : la construction a coûté CHF 4 mio, financés à 90% par la Confédération. Treize personnes y travaillent et une journée à Frambois coûte 280 CHF par détenu, soit près de CHF 100'000.- par année. D'une capacité de 25 places, Frambois a accueilli 272 personnes en 2009. « Mais la détention administrative reste la plus dure de toutes », affirme M. Claude, directeur de Frambois. « Lors d'une condamnation pénale, chaque jour est un pas vers la liberté. Ici, les détenus n'ont aucune perspective. »
Frambois est encadré par une petite équipe soudée qui se réunit chaque matin pour un colloque. La direction communique les dates de renvoi ou d'arrivée, les agents racontent comment s'est passée la nuit. « Certains détenus nous inquiètent beaucoup. Quand on leur dit bonne nuit et qu'on ferme leur cellule, on se demande si on les reverra vivants le lendemain matin. On les a à l'oeil, » s'inquiète Adulaï, agent de détention. En effet, nombreux détenus souffrent de graves dépressions qui peuvent conduire à l'automutilation, la grève de la faim ou la tentative de suicide.
Au fil des mois, des liens se tissent entre personnel et détenus. « On ressent parfois l'injustice, mais on n'en parle pas avec les détenus. Notre travail est de les surveiller. Mais c'est dur quand on sait qu'un type qu'on aime bien va partir et qu'on n'a pas le droit de lui le dire. Le lendemain matin, il n'est plus là et on ne lui a même pas dit au revoir, » avoue Denis, un agent de détention. Au moment de l'expulsion, l'état de stress du détenu engendre parfois des mesures excessives. Des bavures policières ont été constatées et trois hommes en sont déjà morts en Suisse.
Les mesures de contrainte n'ont pas pour but de punir, mais de garantir un départ. L'exécution de ce renvoi est confiée à des policiers spécialement formés. En cas de départ volontaire, les policiers viennent chercher le détenu dans sa cellule et l'amènent jusqu'au pied de l'avion. S'il ne veut pas partir de son propre gré, un vol dit « accompagné » est organisé. En principe, le détenu est prévenu la veille. Le jour du départ, il est menotté et accompagné par deux policiers en civil sur un vol de ligne jusqu'à la destination finale. Il peut cependant refuser de monter à bord.
Vol spécial
Le stade ultime est un vol spécial affrété par l'Office fédéral des migrations (ODM). Les seuls passagers qui montent à bord sont les expulsés, des policiers et des représentants de l'ODM. Afin d'éviter des résistances, les détenus sont avertis au dernier moment. Ils sont ensuite amenés à l'aéroport dans la halle d'entravement. Ligotés à leur chaise, munis d'un casque et de couches-culottes, les détenus sont escortés jusque dans l'avion. Un vol spécial peut durer jusqu'à 40 heures pendant lesquelles ils restent attachés à leur siège. Pour que ces vols soient rentables, il s'agit d'embarquer des personnes de nationalités différentes et d'effectuer des escales dans plusieurs pays.
Les conditions dans lesquelles ont lieu ces renvois sont au coeur de polémiques. La Suisse est le seul pays en Europe qui pratique un entravement aussi musclé. De nombreuses voix s'élèvent pour dénoncer cette pratique jugée inhumaine et qui met en danger la vie des expulsés. La Fédération suisse des médecins s'oppose aux vols spéciaux pour des raisons éthiques et médicales. Elle appelle les médecins à refuser de participer aux renvois effectués sous la contrainte, car une surveillance médicale adéquate est jugée impossible. Les vols spéciaux ont déjà coûté la vie à 3 personnes.
Un vol spécial peut coûter de CHF 20'000.- pour une destination proche, jusqu'à CHF 200'000.- pour les longs vols vers l'Afrique par exemple. Pour les vols de ce type, le coût par expulsé se monte donc entre CHF 15'000.- et 23'000.-. Le coût annuel est estimé à environ 1.9 mio CHF. La compagnie aérienne nationale « Swiss » et la compagnie low cost « Hello » ont répondu favorablement à l'appel d'offre de la Confédération. Le directeur de « Hello » ne voit aucun problème à effectuer cette mission : « La facturation se fait comme pour n'importe quel vol. Que nous transportions une équipe de foot vers le Nigéria ou des requérants, c'est pareil ! »
Même si ces faits n'ont jamais été admis par l'ODM, des témoignages dénoncent les méthodes que l'ODM pratique pour exécuter un renvoi coûte que coûte. L'ODM est régulièrement accusé de renvoyer des personnes dans un pays qui n'est pas leur pays d'origine en soudoyant les autorités locales.
"La contre-attaque politique dont le film est la cible en dit long sur l'arrière-pensée de ses instigateurs. Elle présuppose qu'un étranger, s'il n'est pas blanc comme neige, n'a plus de droits. Plus largement, elle vise à effacer le visage des hommes filmés par Fernand Melgar. Ce que disent au fond les politiciens et les journalistes qui s'acharnent sur VOL SPECIAL, parfois sans l'avoir vu, c'est que les détenus de Frambois ne doivent pas être montrés comme des êtres humains. Tous des salauds, faute d'être tous des héros. Cachez ce film que nous ne saurions voir...
De manière symptomatique, le sujet du film est la seule chose dont il n'est pas question. A quand un débat sur la détention administrative, qui permet d'emprisonner jusqu'à 18 mois des étrangers sans aucun procès, et pour la seule raison que leur présence est jugée indésirable? A quand un scandale politico-médiatique sur le sort d'un autre protagoniste de VOL SPECIAL, torturé à son arrivée par les autorités camerounaises auxquelles la Suisse avait transmis son dossier d'asile?"
Michaël Rodriguez, Le Courrier
"On a rarement pu voir un film documentaire aussi honnête sur un sujet aussi délicat, parce qu'au coeur des controverses et polémiques politiques, auxquelles il n'a d'ailleurs pas échappé.
Par petites séquences parfois par petites touches à peine perceptibles l'auteur détecte et révèle des sentiments, des émotions, des morceaux d'humanité fugitive, derrière les comportements professionnels au travers de l'impitoyable déroulement des procédures. Il évite cependant de suggérer une analyse univoque de ce procédures : on assiste à des renvois, à une « libération », à l'attente à durée indéterminée d'une décision qui peut être appliquée dans les heures qui suivent , mais peut-être dans un mois, dans trois mois
ou dans un an.
Chronique de l'Abrincate