Journal de Rivesaltes 1941-42
Journal de Rivesaltes 1941-42
CH 1997 77'
Réalisation: Jacqueline Veuve
Scénario: Jacqueline Veuve
Image: Thomas Wüthrich, Edwin Horak
Son: Michel Casang, Fred Kohler
Montage: Fernand Melgar
Musique:: Thierry Fervant
Production: Ciné Manufacture CMS SA
Pass:Journal de Rivesaltes 1941-42 (F)
540p Français ST -
Pass:Journal de Rivesaltes 1941-42 (D)
540p Français ST Deutsch
Pass:Journal de Rivesaltes 1941-42 (E)
540p Français ST English
6 août 1942: Nous sommes allées très tôt à l'Ilot F. Nous avions peur qu'on évacue tout à coup les gens à l'aube. Nous les avons retrouvés dans un état misérable. Les uns brisés, les autres irrités par le supplice de l'attente. Tentatives de suicide. Les gens avalent ce qu'ils trouvent. Des boîtes entières de somnifères.
Durant la dernière guerre mondiale, Friedel Bohny-Reiter, infirmière de la Croix-Rouge suisse, Secours aux Enfants, travailla dans le camp d'hébergement de Rivesaltes. Ce camp, dirigé par des Français, comme beaucoup d'autres en France non occupée, regroupait les populations juives, tziganes et espagnoles résidentes ou réfugiées en zone libre. Grâce à cette jeune Bâloise, de nombreux enfants furent sauvés d'une mort certaine à Auschwitz.
Le film se propose de suivre l'itinéraire de cette infirmière à travers le journal qu'elle tint pendant ces années noires. Les images actuelles du camp en ruines, les témoignages de survivants, Friedel visitant le camp aujourd'hui et y travaillant il y a 50 ans (par le truchement d'une comédienne) illustrent ce journal.
De ce pan oublié de l'histoire, Jacqueline Veuve a fait un film discret. Le constat calme et précis d'une douleur irréductible, non partageable, sans cesse travaillée par sa propre disparition. [...] C'est que tout, ici, est traité sur un mode mineur, sans fulgurances incantatoires, sans déclamations indignées. Et ce profil bas, tout en persévérance et en modestie, finit par devenir indispensable.
Olivier Joyard, Cahiers de Cinéma
Il n'est pas de sujet plus brûlant ni plus actuel que l'attitude de la Suisse durant la Deuxième Guerre mondiale. Cependant, si notre jury, à l'unanimité, a voulu primer le film de Jacqueline Veuve, ce n'est pas parce qu'il traite d'un sujet brûlant. C'est parce qu'il le traite avec justesse, avec finesse, avec nuance, avec courage.
Aux questions douloureuses que nous nous posons aujourd'hui, cette oeuvre n'impose aucune réponse idéologique ou préconçue. Le passé, pour Jacqueline Veuve, n'est pas une simple pièce à verser au dossier d'un procès, ni un réservoir d'arguments au service d'une démonstration quelconque. Non, c'est un signe fraternel, offert à notre présent. C'est pourquoi ce film ne cherche pas à désigner les bons et les méchants, ni à opposer la Suisse officielle à la Suisse du coeur. Il nous fait percevoir au contraire la complexité du réel, une complexité terrible, mais jamais tout à fait désespérante.
L'oeuvre de Jacqueline Veuve illustre avec une force égale ces deux qualités dont nous avons tant besoin, et qui nous paraissent si souvent contradictoires : la lucidité et la compassion.
Jury du Prix du cinéma suisse
C'est le Journal de Rivesaltes (de Friedel Bohny-Reiter) qui soutient le récit de Jacqueline Veuve. À celui-ci la cinéaste adjoint les admirables mais terriblesphotos de Paul Seen, les gouaches de Friedel son dernier refugelorsque le découragement la guette les interventions de raresrescapés véritables miraculés qu'elle sauva au terme de longuesheures de négociations. On la voit aussi parcourir le lieu désoléqu'elle fréquenta et dont il ne reste que des ruines battues parle vent. Enfin, des scènes fictives en noir et blanc, sans doutedispensables, servent de liant.
Cependant, le témoignage reste fort. Par sa simplicité, sa crudité.La responsabilité des autorités françaises est écrasante. Humiliante.Et la petite infirmière de se débattre au quotidien, sanshéroïsme apparent, contre l'horreur et la culpabilité. «Noussommes devenus des complices de cette traite des hommes»assène-t-elle, amère. Beaucoup de ces questions taraudentaujourd'hui encore l'aide humanitaire. Pourtant, hier, Friedel a agi,dans une totale obscurité, seulement soutenue par sa foi.
Visions du Réel 1998
La génèse du film
Par Olivier Nicklaus. Les Inrockuptibles
A l'origine, la réalisatrice vaudoise Jacqueline Veuve sort bouleversée de la lecture du journal tenu de novembre 41 à novembre 42 dans le camp de Rivesaltes par une infirmière suisse. Prétendument réservé aux réfugiés de la guerre d'Espagne il servait en réalité de lieu de regroupement des Juifs avant leur départ pour Auschwitz. Il se trouve qu'à 86 ans, Friedel Bohny-Reiter, l'infirmière, est toujours en vie. La réalisatrice la filme racontant ses souvenirs dans ce qu'il reste aujourd'hui de ce camp. Des survivants témoignent de ce qu'ils y ont vécu, et des images "de fiction" en noir et blanc figurent l'infirmière à l'époque. Bref, tour le contraire du projet d'Arnaud des Pallières qui, dans Drancy avenir sorti la semaine dernière, se fait un devoir de ne filmer que des images au présent.
Toute hasardeuse que soit l'entreprise de Jacqueline Veuve sur le papier, le résultat est une réussite. Cette réalisatrice formée par Jean Rouch et Richard Leacock est à la tête d'une impressionnante filmographie, comptant de rigoureux documentaires, mais aussi des fictions dont le magnifique L'Évanouie. C'est avec le dosage idéal de pudeur et d'intelligence qu'elle entrelace ici les différents niveaux de récit.
De nombreux clichés, souvent difficiles à regarder, jalonnent le film. Calmement, Friedel explique que, pour sauver des vies, elle a dû enfreindre les consignes de neutralité de la Croix-Rouge, mais elle ne pose jamais en héroïne Et la réalisatrice n'a pas coupé au montage les phrases qui laissent entendre, sinon une culpabilité ou une responsabilité, du moins une certaine dérobade : "Dans le, calme de la nuit, on se demandait parfois si on n'était pas complice avec ces gens qui déportaient. Mais in fallait refouler cette pensée si on voulait continuer à travailler. Si les images "fictionnalisés" ne sont jamais scabreuses, c'est qu'elles ne sont pas réalistes mais "figuratives".
Les témoignages soulignent la solidarité exceptionnelle générée par les conditions de vie inhumaines. Ainsi, une rescapée raconte à quel point la joie d'un rare bol de riz partagé réchauffait non seulement les corps, mais aussi les âmes. Une autre entonne un chant espagnol. Grosse émotion. A la fin du film, Friedel Bohny-Reiter se demande "Quel est le sens de tout ça?" Je n'en sais toujours rien aujourd'hui. (...) Une chose me donne du courage: avoir publié mon journal, et aujourd'hui, faire ce film.
Le film se base sur le livre: Bohny-Reiter, Friedel: Journal de Rivesaltes 1941-1942, Genève 1993, Edition Zoé.