Exit. Le droit de mourir
Visions du Réel Nyon 2005
Exit. Le droit de mourir
CH 2005 76'
Réalisation: Fernand Melgar
Scénario: Fernand Melgar
Image: Camille Cottagnoud, Steff Bossert
Son: Blaise Gabioud
Montage: Karine Sudan
Production: Florence Adam, Les Productions JMH, Climage
On ne connaît ni le jour ni l'heure. Quand une maladie survient, avec les douleurs, la déchéance, nous voilà face à la mort. Ce qui reste à vivre apparait comme terrible et angoissant. Comment s'épargner une lente agonie, pour soi comme pour ses proches? La Suisse est le seul pays au monde où des associations telles qu'EXIT proposent, en toute légalité, une assistance au suicide pour les personnes en fin de vie. Depuis plus de vingt ans, des bénévoles accompagnent malades et handicapés vers une mort choisie qu'ils estiment plus digne. Dans ce documentaire, accompagnateurs et accompagnés abordent la mort de front. Non comme un tabou, ni comme une fin inacceptable, mais comme une délivrance. Dans une société qui tend à tout maîtriser, ils nous renvoient à cette question d'ordre intime: choisir sa mort n'est-ce pas notre ultime liberté?
Avec Micheline, Magali, Dr Jérôme Sobel, Jacqueline Albert, Elisabeth Leresche, Marianne Tendon, Bernanrd ET Pierrette Perret, Sylvia Gaillard, Christiane Standley, Dr. Jean Strasser, Dominique Roethlisberger, Dr Pierre Axel Ruchti, Denise Voser, Serge Derungs, Astrid Navarro, Jocelyne, Emilio Coveri, Frances Combe, Denise Sobel, Derek Humphry, Jurg Krompholz, Philippe Deckens, Jacqueline Loup, Me Claude Narbel, Jean-Jacques Bise, Dr. Éric Breuss
"Pour comprendre le contrat moral qui unit malades et accompagnateurs, pour comprendre comment on accède à la demande de mort de ceux qui veulent rester jusqu'au bout maîtres de leur destin, Fernand Melgar est rentré dans un monde à part. Il a passé deux ans au sein d'Exit, filmant de face le visage de la souffrance, la réalité du néant et un sentiment qui s'apparente à l'amour du prochain. Ce film bref mais d'une poignante densité montre avec délicatesse les confins de la vie et les abords de la nuit, les appels à l'aide et les mains tendues, l'empathie des téléphonistes et des accompagnateurs, Jérôme, Denise, Jürg, Marianne dont la bonté nous éblouit... Le bleu du ciel a disparu, Marianne et Denise se baladent dans un brouillard aux dimensions métaphysiques, la vie et la mort marchent à leurs côtés
Et voici ces frères humains broyés par des souffrances intolérables. Jocelyne, atteinte de sclérose en plaques qui met une année à écrire sa demande d'autodélivrance, Bernard sur son fauteuil roulant, Micheline qui arrête la date de sa mort
Fernand Melgar a très peu tourné. Il ne recense que deux séquences non utilisées «Ce qui est assez rare pour un documentaire de captation. Les gens que tu rencontres n'ont plus beaucoup de temps devant eux. Ce qu'ils vivent est essentiel. Je me voyais mal me dire sur la table de montage: Oh, il est pas très bon
» Le cinéaste a choisi de ne pas filmer certaines situations extrêmement dramatiques auxquelles il a été confronté. La question récurrente était celle de la distance: «Je redoutais toujours de tomber dans le voyeurisme, le pathos. Je ne voulais pas qu'on soit submergé par l'émotion, qu'on oublie l'essentiel: affronter de face notre propre fin. Je montre une série de cas pour inciter le spectateur à réfléchir. A se dire: cette personne à l'écran, c'est mon père, mon frère ou moi-même
»
Antoine Duplan, Webdocine
"C'est par la précision des plans, leur découpe dans le temps et l'espace qui décrivent les liens entre les personnages du film, que Fernand Melgar parvient à expliciter les raisons et procédures par lesquelles des êtres humains décident de rompre les liens qui les retiennent à la vie. Les enjeux sont de taille, puisqu'il s'agit dans la forte tradition du cinéma direct d'approcher avec leur accord et sans en fausser le comportement des gens qui agissent et pensent dans les marges de la morale commune.
Il est question dans EXIT, du nom de l'Association pour le droit de mourir dans la dignité, créée en 1980 en Suisse romande et qui compte 10'000 membres âgés de 21 à 103 ans, de bénévoles qui accompagnent jusqu'à leur trépas volontaire des gens que la maladie et les souffrances épuisent.
Deux régimes d'images donnent à ce roman du réel la dimension d'une initiation, à laquelle une séquence tournée au Japon confère un horizon culturel et moral élargi. Il y a les plans fluides. Ils épousent les mouvements des conversations et des corps. Ils décryptent les besoins impérieux de connivence et de compassion entre les personnes appelées à procéder aux gestes qui conduisent à la mort. La séquence de la promenade des deux accompagnatrices dans un paysage de brume et d'arbres fantomatiques est stupéfiante. Le cinéaste et son chef opérateur parviennent à saisir au creux de leur conversation les préoccupations universelles liées à la vie et à la mort. En suspension dans un territoire imaginaire parcouru par la mémoire du va-et-vient entre les deux rives, ce moment définit le rythme maîtrisé du récit, qui jamais ne bouscule son spectateur.
Et il y a les plans fixes cadrés au cordeau qui dessinent en profondeur les structures d'un univers d'assemblées générales, de séances de comité et de bureau, au sein desquelles s'expriment les règlements, les procédures, les postures, les techniques propres aux acteurs d'EXIT. C'est tout le mérite du film que d'établir tout à la fois la proximité du regard empathique et la distance du point de vue ethnographique, qui donnent jusqu'à la toute fin, jusqu'à l'extrême de ce que le cinéma peut risquer de capter, une tenue morale, faite de choix esthétiques et narratifs passionnants.
Jean Perret, Visions du Réel
L'association romande Exit-ADMD
Pour lutter contre l'acharnement thérapeutique, deux associations Exit se sont créées en 1982, l'une à Zurich et l'autre à Genève. Elles comptent aujourd'hui 53'500 adhérents alémaniques et 10'500 romands. Le mouvement «Exit pour le droit de mourir dans la dignité» est né en Angleterre en 1935. Il s'est rapidement étendu à d'autres pays. Au niveau mondial, il existe une quarantaine d'associations regroupant près d'un million de membres. Leur but est de promouvoir le droit de choisir librement le moment de mettre un terme à sa vie et les moyens d'y parvenir. Une troisième association, Dignitas, est créée en 1998 par un membre dissident d'Exit-Zurich pour accueillir en Suisse les candidats étrangers au suicide.
L'association Exit-Suisse romande vit un tournant dans son action, amorcé il y a deux ans par son nouveau président, le Dr. Sobel. Pendant des années, elle s'est contentée de fournir à ses membres un «guide d'autodélivrance», sorte de mode d'emploi du suicide en dix leçons. Et de pratiquer un intense lobbying politique. Rien, en revanche, n'était prévu pour les patients: ni suivi, ni présence réconfortante. Mot d'ordre implicite: «Débrouillez-vous!»
Dès son arrivée à la présidence, le Dr. Sobel a déclaré: «En fait, il y a eu quelques assistances au suicide. Elles n'ont simplement pas été déclarées. Ces temps sont révolus.» La justice est mise alors devant le fait accompli: le praticien décide de mettre sur pied un véritable service d'accompagnement et préfère annoncer au juge la date des suicides. Et la demande afflue. Pas question, en revanche, d'accepter les étrangers «Exit Italie voulait nous envoyer ses membres en fin de vie. Ce n'est pas pensable. Nous ne sommes pas une usine. Je ne peux pas envisager d'aider quelqu'un qui viendrait un vendredi pour mourir un samedi. J'ai besoin d'établir une relation personnelle.»
Nul besoin d'être malade pour adhérer à l'association. Toute personne majeure, domiciliée en Suisse et en possession de ses facultés mentales peut devenir membre. En revanche, il ne suffit pas d'avoir sa carte pour bénéficier automatiquement de son assistance. «Les critères sont stricts, rappelle Jacqueline Albert, secrétaire d'Exit. Nous intervenons principalement auprès des personnes atteintes de maladies incurables. Le pronostic doit être fatal ou conduire à une invalidité importante. Il nous arrive de refuser d'entrer en matière si ces conditions ne sont pas réunies.» Le suicide n'est pas un délit en Suisse et son assistance, sans mobile égoïste, n'est pas punissable. Dans le «guide d'autodélivrance», trois voies d'assistance au suicide sont proposées:
1. Exit constitue un dossier (demande lucide, diagnostic médical et déclaration manuscrite) et respecte un certain protocole pour prouver qu'elle a agi à la demande explicite de la personne.
2. Exit adresse la demande à un médecin acquis aux idées d'Exit mais agissant à titre privé. L'assistance relève alors du secret de la relation entre la personne et le médecin. Ce dernier agit alors selon sa conscience.
3. La personne préfère agir seule et se procure elle-même les produits nécessaires. Le «guide d'autodélivrance» conseille alors au mieux pour accomplir seuls les derniers gestes.
Le Dr. Sobel parle de son expérience «Chaque fois que je fais un accompagnement, je suis persuadé de sa nécessité. Si j'ai le moindre doute, je dis toujours qu'il est urgent de ne rien faire. On entre dans l'intimité du patient, c'est un espace sacré et on doit dire non si on ne se sent pas en phase avec la personne ou avec la famille.» Pour le praticien, l'assistance au suicide est avant tout un acte de compassion, un devoir d'humanité. Reste qu'on ne convoque pas sa mort en claquant des doigts. «Il faut beaucoup de courage pour en fixer le jour et l'heure. D'ailleurs les demandes sont rares. Si elles augmentent aujourd'hui, c'est parce que les gens savent qu'ils peuvent demander une assistance au suicide alors qu'ils ne le savaient pas avant.»
Le Dr. Sobel souligne que les motifs de l'opposition à l'assistance au suicide sont principalement d'ordre religieux. «Il n'y a pas si longtemps, on considérait que la douleur était rédemptrice, elle nous permettait d'acheter notre entrée au paradis. Plus on souffrait ici-bas, meilleure serait notre place là-haut...
Si on avait suivi cette politique, les analgésiques n'existeraient pas, les soins palliatifs non plus. Il y a pourtant des croyants parmi les gens qui demandent notre assistance et ils partent l'âme en paix. D'ailleurs la présence d'un pasteur à une autodélivrance n'est pas exceptionnelle.»
Même si aujourd'hui la prise en charge de la douleur est bien faite par les soins palliatifs, les demandes d'aide au suicide ne disparaissent pas pour autant. «La douleur n'est qu'une partie des souffrances physiques, explique le Dr Sobel. On oublie trop souvent l'épuisement lié à la maladie ou au traitement, les nausées, les vomissements, les détresses respiratoires, les difficultés à s'alimenter, l'incontinence... La peur de la maladie engendre parfois des angoisses terribles. La dégradation physique peut être ressentie comme une humiliation. Les patients savent qui ils étaient, ils voient ce qu'ils sont devenus et ils se demandent jusqu'où ils vont devoir subir cette déchéance. Ces souffrances-là résistent aux meilleurs traitements.» Si la réflexion est engagée depuis peu dans certains établissements hospitaliers, l'autodélivrance ne peut actuellement pas se faire dans un cadre hospitalier. Quant aux EMS, ils s'ouvrent timidement à cette demande, l'acceptent ou la refusent selon leurs convictions. Le Dr Sobel est régulièrement sollicité par ses confrères pour son «savoir-faire». «Ils sont de plus en plus nombreux à vouloir accompagner leurs patients eux-mêmes jusqu'à la fin. C'est un signe, les mentalités changent et les choses avancent. »
Pour l'assistance au suicide, Exit Suisse romande peut compter sur une dizaine d'accompagnateurs bénévoles. Venus d'horizons très divers, leur parcours professionnel est parfois sans rapport avec le milieu médical ou social. Une expérience personnelle avec la mort difficile d'un proche peut suffire à déclencher cette vocation. Ils sont généralement à la retraite et certains consacrent un temps complet à cette activité. Il n'existe pas à proprement parler de formation. Un entretien avec le Dr. Sobel et une présence sur quelques accompagnements peuvent parfois suffire pour devenir autonome et conduire seul une assistance au suicide. Un secrétariat à Genève réceptionne les demandes par téléphone, constitue les dossiers et les répartis les cas selon les disponibilités et les sensibilités de chacun. Il n'existe pas pour le moment, comme à Exit Zurich, un conseil d'éthique interne qui évalue chaque cas.